mercredi 21 avril 2021

21/04/2021 Jordanie, quand les sinkholes révèlent la pire des catastrophes que connait la région, la soif

 

La première fois que les gens ici ont aperçu un "sinkhole" il y a quelques années, (ces trous profonds qui apparaissent étrangement en quelques heures), tout le monde a pensé qu'un petit astéroïde avait percuté les rivages de la mer morte.

Puis d'autres de plus en plus nombreux sont apparus (plus de 6000 à ce jour) 

L'un a même avalé un immeuble, ici un morceau d'autoroute s'est effondré, un autre s'est ouvert près d'une maison et a forcé ses habitants a déménager. 

Des agriculteurs en ont retrouvé dans leurs champs et ont abandonné leurs récoltes.

Bref, les habitants de Ghor Haditha, située dans les terres desséchées de la Jordanie, se sont vite rendus compte que le problème venait littéralement de sous leurs pieds, comme un symptôme de la petite mort de la mer Morte. 

Cette région est depuis longtemps classée parmi les pays les plus pauvres en eau.

Ces gouffres sont un signe avant-coureur d'un avenir en équilibre précaire sur la diminution  des ressources en eau dans la région. Faut dire que le niveau de la mer Morte a chuté de près de 30 mètres à cause de la sur-exploitation de ses eaux et le réchauffement climatique

Le rivage incrusté de sel de la mer Morte - mer fermée intérieure - se retire à un rythme de 1 à 1,5 mètre par an, et l'eau très salée qui gorgeait son sol est progressivement remplacée par de l'eau douce issue des pluies qui dissolvent complètement les couches de sel souterraines accumulées depuis des millénaires: des cavités se forment et le sol s'effondre en grottes souterraines, et créer des dolines.

Et les gouffres (sinkholes) se comptent maintenant par milliers, comme une éruption cutanée d'une terre totalement malade.

"Quand j'étais plus jeune, l'eau atteignait ce chemin qui mène à ce champ ", nous explique Hassan Kanazri, un producteur de tomates de 63 ans, en désignant un endroit qui est à environ 300 mètres du bord de l'eau désormais." Il nous emmène sur une parcelle de terre d'un brun foncé parsemée de trous; la terre cède sous nos pieds 

"Nous ne pouvons plus utiliser de tracteurs ici. La terre est trop faible et cède, nous devons donc labourer manuellement"

Les sinkholes ne sont qu'un symptôme d'un bien plus grand danger dans la région, la soif perpétuelle de la Jordanie s'aggrave. 

Ce royaume désertique pratiquement totalement enclavé n'a presque plus de ressources en eau, la baisse annuelle des précipitations dans le pays pourrait même conduire à une réduction de 30% d'ici 2100, selon le Jordan Water Project de l'Université de Stanford;

Les aquifères jordaniens, d'anciens réservoirs d'eaux souterraines qui mettent du temps à se reconstituer, sont pompés à un rythme effréné, la pandémie de Covid a augmenté la demande de 40%, selon le ministère de l'Eau. Le pays accueille 3 million de déplacés

«La situation ici est bien sombre», déclare le porte-parole du ministère de l'Eau, Omar Salameh. "Sans un soutien financier international très important pour exécuter des projets de développement, la Jordanie ne pourra plus se fournir en eau.

Environ 92% du pays reçoit moins de 200 millimètres de précipitations par an, il figure en tête de liste des pays les plus soumis à un stress hydrique, avec seulement neuf pays dans le monde; Selon le World Resources Institute, la région est également un des «points chauds mondial de l'utilisation non durable de l'eau». L'eau disponible est gravement dégradée par les rejet de saumure provenant du dessalement des sols, des pollutions et des eaux usées non traitées.

La mauvaise qualité de l'eau coûte aux gouvernements jusqu'à 2,5% de son produit intérieur brut.

Les étés brûlants aggravent les choses, les températures diurnes moyennes dépassent les 46 degrés Celsius et atteignent près de 32 degrés la nuit. 

La croissance de la population aussi aggrave le problème. Dans les années 1950, la population comptait un demi-million de personnes. Elle compte aujourd’hui plus de 10 millions d’âmes. Hors selon les chercheurs l'approvisionnement en eau du pays ne peut pas soutenir une population dépassant 2 millions. Les résidents se contentent aujourd'hui de 135 cubes mètres d'eau par an, l'ONU définit la «rareté absolue»à 500 mètres cubes par an.

Un recensement de 2016 a estimé que le nombre de réfugiés installé dans la région à 2,9 millions, dont  1 million de travailleurs migrants dans le pays.A elle seule

«La crise syrienne a augmenté la demande en eau dans le pays  de 20% en moyenne», dit Salameh

Ce n'est guère mieux du côté de l'offre, où la Jordanie doit faire face à la tyrannie de sa situation géographique.

Allez vers le nord de Ghor Haditha par exemple, passez devant le site du baptême de Jésus-Christ sur le Jourdain (maintenant réduit à un filet d'eau contaminé par les eaux usées); continuer vers l'Est le long de son principal affluent,la rivière Yarmouk, où Lawrence d'Arabie a tenté de faire sauter un train ottoman,et vous rencontrez le barrage d'Al Wehda, un remblai en béton de 360 ​​pieds à la frontière jordanienne avec la Syrie.

Sa capacité de 110 millions de mètres cubes en fait le plus grand barrage de Jordanie, une source fiable de plus d'un tiers de l'approvisionnement en eau du pays. Il est aujourd'hui à moitié plein. 

C'est parce que la Syrie, qui contrôle le débit de la rivière Yarmouk en Jordanie, a construit en amont plus de 40 barrages et des milliers de puits pour irriguer ses propres cultures, ne laissant à la Jordanie qu'un cinquième de sa part.

«Nous étions censés agrandir ce barrage et construire une centrale hydroélectrique. Les négociations avec la Syrie devaient nous assurer notre cota d'eau, et les Syriens obtiendraient de nous de l'électricité », a déclaré Munther Maayeh, l'un des gestionnaires du barrage. Mais l'eau délivrée que nous recevons des Syriens n'est pas suffisante pour cela. 

Israël pour sa part, en vertu de l'accord de paix de 1994, procède régulièrement à des transferts de l'eau du Jourdain jusqu'au son état, elle a ainsi détourné quelque 600 millions de mètres cubes d'eau de la mer de Galilée - une autre mer intérieure -du Jourdain. Résultat une plongée de 90% du débit de la rivière

Du coup la Jordanie s'est de plus en plus tournée vers des ressources en eau non renouvelables telles que les aquifères. La Jordanie en a 12, mais pompe déjà plus de 160% de ce qu'elle ne le devrait pour qu'ils puissent se reconstituer; 10 sont désormais presque épuisés

La faiblesse de l'offre associée à la demande croissante a donc contraint le gouvernement à rationner sa distribution d'eau. Concrètement, cela signifie que la plupart des foyers ne reçoivent plus d'eau municipale qu'une fois par semaine. 

Beaucoup de nos habitants se tournent désormais vers le forage illégal de puits, dit Salameh. Pire les besoins en énergie pour le pompage de l'eau représentent déjà plus d'un sixième de la production totale d'électricité du pays, selon le gouvernement. Les subventions de l'État à l'agriculture, un secteur qui consomme un peu plus de 50% de l'approvisionnement en eau de la Jordanie tout en ne contribuant qu'à 3% à 4% de son PIB, est bien trop coûteuses. les principales cultures de la Jordanie sont les tomates et les concombres, des plantes à faible profit qui consomment beaucoup d'eau. Les agriculteurs doivent urgemment à l'avenir choisir des cultures plus rentables et moins gourmandes en eau.

© Nature Alerte


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