samedi 20 mars 2021

20/03/2021...AgroParisTech en lutte pour sauver leur école

Depuis 1826, la célèbre école d’ingénieur AgroParisTech est installée sur un domaine de plus d’une centaine d’hectares, dans les Yvelines. Depuis mardi 16 mars, les étudiants occupent le site, dont ils ont bloqué les entrées, pour s’opposer à sa vente à des promoteurs.

« Notre devoir : sauver deux cents ans d’histoire. » Accrochées aux barreaux de l’imposant portail recouvert de lierre, les banderoles donnent le ton. Troncs d’arbres et parpaings condamnent tout accès à l’enceinte. Derrière les murs hauts de trois mètres, s’échappent quelques notes de guitare. Depuis mardi 16 mars, les étudiants de l’école d’ingénieur AgroParisTech se sont barricadés dans leur domaine de Thiverval-Grignon, à l’ouest de Paris. Ils réclament d’être entendus par le ministère de l’Agriculture, propriétaire du site, bien décidé à le vendre.

Lundi 15 mars, près de trois cents étudiants se sont réunis en assemblée générale. À l’issue des discussions, ils ont procédé à un scrutin pour choisir ou non de bloquer le site. Et le résultat est sans appel : 82 % des votes approuvaient le recours à cette stratégie. « À partir de là, nous avons commencé à organiser le blocus, dit Boris, étudiant de première année. On a passé la nuit à construire des barricades et à murer les sept accès au site pour que les fourgons de police ne puissent pas entrer. » Au petit matin, « la prise de la “Loge” », fief des vigiles en temps paisible, marquait la réussite cet assaut non violent.

« Le ministère peut revenir sur l’appel d’offres, le retarder, l’interrompre, voire l’annuler »

Assis au premier rang de l’amphithéâtre vide de toute âme, Elias, étudiant, raconte qu’il n’y avait plus une seconde à perdre : « Le 26 mars, ce sera la fin de l’appel d’offres de l’État. C’est-à-dire qu’à partir de ce jour-là, le jury chargé du dossier va délibérer pour déterminer le client retenu pour racheter Grignon. Jusqu’à cette date, le ministère peut encore parfaitement revenir sur l’appel d’offres, le retarder, l’interrompre, voire l’annuler. »

L’emblématique château du XVII° siècle, dans lequel l’école est installée depuis 1826.

Il y a six ans, en mars 2015, le conseil d’administration d’AgroParisTech validait la vente du site emblématique en dépit de l’opposition d’une majorité d’étudiants et d’enseignants-chercheurs. Ces derniers quitteront donc, dès la rentrée 2022, l’emblématique château du XVII° siècle, dans lequel l’école est installée depuis 1826 : « Cette décision a été prise d’en haut, sans concertation. Aujourd’hui, rien ne nécessitait qu’on déménage sur le plateau de Saclay. S’ils nous imposent ça, c’est juste pour centraliser les grandes écoles à l’université de Paris-Saclay afin d’en faire un campus compétitif à l’international », se désole Juliette, étudiante en première année à AgroParisTech.

« Ils ne prennent pas en compte les enjeux de précarité étudiante, poursuit Elias, à côté d’elle. Se rendre à Saclay, c’est très difficile. Là-bas, les logements sont beaucoup plus chers. Et puis, nous allons perdre le parc, qui a une diversité de sols incroyable. Il nous permettait d’aborder de manière concrète tout notre programme ! »

« On ne veut pas que ce patrimoine historique et ses écosystèmes rares tombent aux mains d’un promoteur immobilier »

Les bras croisés sur son torse, emmitouflé dans une polaire kaki, Florent ne se fait pas d’illusions : « Le déménagement se fera. C’est acté, personne ne reviendra dessus et on en est tous conscients. Aujourd’hui, la question est de savoir qui va récupérer le site. On ne veut pas que ce patrimoine historique et ses écosystèmes rares et fragiles soient laissés aux mains d’un promoteur immobilier qui ne pensera qu’à bétonner. »

Pour ce faire, les contestataires demandent une révision des critères de sélection des potentiels acheteurs. À l’heure actuelle, l’analyse des candidatures se fonde sur trois éléments : les capacités financières d’investissement, d’une part ; les capacités techniques à répondre avec pertinence ; et puis, la notion plus nébuleuse des motivations du candidat au regard des enjeux urbains, patrimoniaux et économiques. Autrement dit, il n’est fait nulle part mention de la préservation des écosystèmes forestiers et des zones humides d’une considérable valeur écologique.

Parmi les quatre possibles acquéreurs en lice, se trouve la société foncière Altarea, spécialisée dans le développement de centres commerciaux. Une société immobilière travaillant pour le compte de la mairie de Paris figure également dans la liste restreinte. « Si leur projet reste confidentiel, explique Élias, on sait toutefois qu’ils envisagent la construction de lotissements et complexes hôteliers. » Une autre alternative s’offre au site, avec Grignon 2026. Porté par la communauté de communes Cœur d’Yvelines, ce projet public maintiendrait l’agronomie et la transition écologique au centre des enjeux. Soutenu par une partie des étudiants, il est décrit comme trop peu ambitieux par d’autres mais reste la solution la moins malheureuse.

« Une multitude d’essences y ont été plantées dès le XVII° siècle » 

Évitant les flaques de boue, Boris avance en direction d’une grande forêt. La végétation s’étend à perte de vue. Un paradis de verdure de 140 hectares, à une demi-heure de la capitale. « Le parc que vous voyez là-bas n’est pas entretenu par l’Office national des forêts, explique-t-il le doigt pointé vers l’horizon. Le fait de ne pas retirer les bois morts permet le développement d’une diversité importante d’insectes, de champignons, de lichens… Beaucoup de taxons [une entité regroupant tous les organismes vivants possédant en commun certaines caractéristiques bien définies] qu’on retrouve de moins en moins dans les forêts occupées par les hommes »

Outre les bâtiments chargés d’histoire, dont certains sont déjà abandonnés depuis des années, les étudiants veulent conserver à tout prix l’arboretum : « Une multitude d’essences y ont été plantées dès le XVIIe siècle, dit Hugo, un autre étudiant. Avec ces deux cents espèces botaniques, il offre une collection forestière formidable ! » Si ces sites naturels sont protégés par le plan local d’urbanisme (PLU), celui-ci pourrait être modifié sous la pression des promoteurs immobiliers : « Dans le passé, le club de football du PSG voulait par exemple construire une dizaine de terrains et un stade, poursuit Hugo. Un PLU, ça évolue. Ce n’est pas quelque chose de fixe… »

La rébellion a obtenu un premier résulat : vendredi 19 mars, en fin d’après-midi, les étudiants d’AgroParisTech ont rendez-vous avec Michel Leveque, conseiller du cabinet du ministre de l’Agriculture. Leurs revendications : la suspension immédiate du processus de vente et un droit de regard sur les futures décisions.

C’est maintenant que tout se joue…

© Reporterre

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