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mardi 23 juin 2015
L'estuaire de la Gironde, le plus vaste d'Europe et aussi le mieux préservé ? 

Il faut oublier le second qualificatif. Organisée la semaine passée à Artigues-près-Bordeaux, en Gironde, une journée d'étude intitulée "l'estuaire de la Gironde, entre littoral et bassins versants" a clairement posé les réalités sur la table. Et celles-ci sont désagréables à entendre : les poissons migrateurs emblématiques du milieu saumâtre se meurent.

Le saumon, chassé vers le nord par le réchauffement climatique, est rarissime. La grande alose est en danger, comme l'esturgeon qui fait pourtant l'objet d'un vigoureux programme de réintroduction piloté par Irstea (l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, ex-Cemagref, ndlr) dans sa station de Saint-Seurin-sur-l'Isle. L'alose feinte et l'anguille se portent à peine mieux. La lamproie marine, qui frétille depuis 450 millions d'années, "est en difficulté depuis 30 ans" selon Jacqueline Rabic, la représentante des pêcheurs professionnels de la Gironde.

Baisse du débit d'eau douce

Ces préoccupations sont partagées par les décideurs. Par Pierre Ducout par exemple, maire (PS) de Cestas et spécialiste de la question de l'eau, qui évoque "un constat alarmant pas si lointain" pour l'estuaire de la Gironde. Le bulletin de santé de l'estuaire de la Gironde liste plusieurs problèmes distincts dont les effets se cumulent. Le principal d'entre eux est lié à la faiblesse des débits d'eau douce en provenance de la Garonne comme de la Dordogne. Si les deux dernières années, plutôt bien arrosées, ont permis de limiter la casse, la tendance reste la même sur ces dernières décennies.

Directrice de recherche CNRS à l'UMR Epoc (CNRS/université de Bordeaux), Sabine Schmidt relève ainsi que la durée des étiages - le plus bas niveau du fleuve - a bondi depuis 1990 sur la Garonne à La Réole, au sud du département de la Gironde. Les journées où le débit est inférieur à 110 mètres cubes par seconde (m³/s) s'y sont multipliées.

Le bouchon vaseux installé

La faiblesse des apports en eau douce favorise la persistance du "bouchon vaseux" dans l'estuaire. Cette locution désigne une zone dans laquelle les particules en suspension dépassent un gramme par litre et donnent à l'eau son aspect de soupe marronnasse. Au droit de Pauillac, dans le Médoc, le bouchon vaseux persiste à peu près toute l'année. Il remonte vers Bordeaux de juin à novembre et à Libourne sur la Dordogne de juillet à septembre. Mais il peut rester en place bien plus longtemps. "Il s'installe quand les débits ne dépassent pas 250 m³/s, il est expulsé hors de l'estuaire au-dessus de 350 m³/s", résume Sabine Schmidt.

Or la présence du bouchon vaseux est un paramètre crucial pour les poissons, menacés d'asphyxie par la rareté de l'oxygène qui s'y trouve. Il forme comme un barrage pour les migrateurs dont les adultes remontent vers les frayères et pour les juvéniles qui dévalent les rivières vers l'estuaire. Plus fragiles, ces derniers sont les plus menacés. "On a de gros doutes sur la capacité des poissons à s'adapter. On ne voit pas les alosons (les juvéniles d'aloses) attendre la disparition du bouchon vaseux pour la dévalaison (le fait pour les alevins d'entamer leur migration vers l'océan depuis les frayères où ils ont vu le jour, ndlr) par exemple. Ce qui pose le problème de leur survie", relève Jérémy Lobry, ingénieur de recherche à Irstea Bordeaux.

Le sort des jeunes poissons de mer qui élisent domicile dans l'estuaire pour s'en servir de nourrière pose également question. L'engraissement des soles et des bars peut être entravé par les oscillations du bouchon vaseux. De taille plus modeste, ils sont plus vulnérables lors de leur retour au large.

Des polluants à foison

La qualité de l'eau est aussi tributaire de la maîtrise des polluants. Là non plus, le tableau n'est pas des plus pimpants. Chercheur honoraire à l'université de Bordeaux, Henri Etcheber a coordonné le programme scientifique Etiage dont les conclusions ont été rendues publiques l'an passé. On trouve des pesticides dans l'estuaire, qui proviennent de l'agriculture. Mais aussi de l'argent, du cuivre, du zinc, du plomb, des plastifiants, des parfums, des médicaments… "En hiver, l'eau est riche en antidépresseurs. En été, en cocaïne. Le fleuve répond à nos usages !", indique Henri Etcheber.

Le chercheur pointe du doigt "l'apport considérable des stations d'épuration bordelaises" qui, comme tous les équipements de ce type, ont pour mission de rejeter une eau conforme à la réglementation. Or quelque 60 000 substances de synthèse différentes sont utilisées. Y a-t-il une relation de cause à effet ? Emblématique de l'estuaire, la crevette blanche est sujette à des déformations de sa carapace depuis quelques années. Et sa croissance est plus faible.

"Marinisation" de l'estuaire

In fine, le bouleversement du milieu se traduit par une "marinisation" de l'estuaire de la Gironde. La salinité moyenne des eaux augmente, à Pauillac comme à Bordeaux. La spécificité estuarienne a tendance à disparaître. De plus en plus, le milieu marin étend son influence jusqu'au bouchon vaseux, zone intermédiaire réduite et pauvre en vie avant la zone fluviale à proprement parler. "On a beaucoup plus de poissons marins et beaucoup moins de migrateurs qu'il y a trente ans. Le peuplement de l'estuaire, c'est surtout les juvéniles d'anchois. Les méduses et plus largement les "gélatineux" remontent de plus en plus loin en amont", note Jérémy Lobry.

Les carrelets dans l'estuaire

Ces déséquilibres durables ont peu de chances de pérenniser les populations les plus fragiles. De plus en plus, les proies et les prédateurs ne se croisent plus. Le réchauffement graduel des eaux fait fuir certaines espèces, comme les éperlans. Jusqu'à présent, on dénombrait environ 75 espèces différentes sous le manteau brun de la surface, dont 61 % de poissons marins, 21 % de poissons d'eau douce, 15 % d'amphihalins (migrateurs) et 3 % d'espèces spécifiques au milieu estuarien. Et combien demain ? « La situation est préoccupante mais pas irrécupérable », veut croire Henri Etcheber.

Source © Sud Ouest



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